Clara FILIPPI (doctorante à l’UCLouvain en Belgique et à l’Université de la Polynésie française) et
Jeanne DUPONT (étudiante en droit à l’Université de Nouvelle-Calédonie)
A la suite de violences communautaires, quels récits de l’histoire doivent être reconnus ? Quand les souvenirs sont douloureux voire indicibles, quand la réconciliation est en cours ou semble irréalisable, quel sens donner aux silences ? La Nouvelle-Calédonie, terre de France pour les uns, pays kanak pour les autres, n’échappe pas aux questions de justice, de mémoire, d’éducation ou de réparation liées à son passé colonial. Tout comme on parlerait de récidives ou de rechutes lors d’un cancer, la période dites des “Événements” (1981-1989) et le 13 mai 2024, sont les témoins de ce passé colonial non digéré – dont les récents épisodes qui resurgissent dans le présent (ou du moins dans ce que les historiens appellent la période contemporaine) – , s’apparentent à ces rechutes liées à ce « passé qui ne passe pas ».
Si aucune Commission Vérité n’a encore été mise en place en Nouvelle-Calédonie, certains mécanismes de justice transitionnelle peuvent néanmoins être identifiés. Ainsi, à la suite des Accords de Matignon-Oudinot (1988), puis de Nouméa (1998) qui prévoyaient le transfert irréversible de compétences de Paris à Nouméa, incluant l’enseignement, des programmes scolaires adaptés et la publication de manuels scolaires d’histoire et de géographie ont vu le jour. Toutefois, de nombreux silences persistent. D’une part, les archives sont toujours fermées et d’autre part, un constat criant de la jeunesse calédonienne pose les jalons de cette présentation : “nous ne connaissons toujours pas cette histoire”. En se concentrant sur la mémoire de la période dite des « Evénements » (1891-1989), cette communication interroge la manière dont cette mémoire est transmise dans les établissements scolaires de Nouvelle-Calédonie et soulève les silences qui y sont liés afin d’appréhender ces mécanismes de transmission. Après une analyse des programmes scolaires, des manuels, et de nombreux entretiens, cette communication tente de comprendre les silences persistents et d’ouvrir la discussion sur ce constat des jeunes générations : “on ne connait pas notre histoire” .
Dans les sociétés postcoloniales, la reconnaissance des peuples autochtones oscille souvent entre ouverture symbolique et assignation institutionnelle. Ce travail interroge ce paradoxe à partir du concept de « contemporanéité autochtone » développé par l’anthropologue Sylvie Poirier, en l’articulant aux trajectoires juridiques et mémorielles du Canada, et aux voix kanak recueillies en Nouvelle-Calédonie. Il met en lumière une tension centrale : peut-on reconnaître une identité sans la figer ? Peut-on réparer sans reconduire les cadres qui ont produit l’injustice ?
À travers deux axes – l’objectivation juridique des cultures et la réappropriation des récits historiques – ce texte propose une lecture critique des dispositifs de reconnaissance. Il montre que les cadres juridiques dominants, tendent à administrer les identités plutôt qu’à les accueillir. En miroir, les voix autochtones, qu’il s’agisse des Premières Nations au Canada ou des Kanak interrogés, revendiquent non seulement la mémoire, mais la capacité de produire du sens et de nommer le réel depuis leurs propres territoires symboliques.
En mobilisant également la distinction faite par le politologue Thierry Rodon entre « peuple autochtone » et « peuple à disposer de lui-même », ce travail rappelle que les Kanak ne relèvent pas simplement d’un cadre culturel, mais d’un processus inachevé de décolonisation. Il en appelle, dans ce contexte, à une justice transitionnelle pensée non comme solde de tout compte, mais comme ouverture de nouveaux régimes de vérité, de parole et de cohabitation. Parce qu’elle articule mémoire, reconnaissance et transformation structurelle, cette perspective permet de repenser ce que pourrait être une reconnaissance non coloniale.