Légitimités croisées et mémoires en conflit : penser la réconciliation en Nouvelle-Calédonie

Clara FILIPPI (doctorante à l’UCLouvain en Belgique et à l’Université de la Polynésie française) et
Jeanne DUPONT (étudiante en droit à l’Université de Nouvelle-Calédonie)

Présentation du séminaire
Vendredi 6 juin à 10h - salle 15-410
Intervention de Clara Filippi :
Nouvelle-Calédonie : entre silences et mémoires plurielles.

A la suite de violences communautaires, quels récits de l’histoire doivent être reconnus ? Quand les souvenirs sont douloureux voire indicibles, quand la réconciliation est en cours ou semble irréalisable, quel sens donner aux silences ? La Nouvelle-Calédonie, terre de France pour les uns, pays kanak pour les autres, n’échappe pas aux questions de justice, de mémoire, d’éducation ou de réparation liées à son passé colonial. Tout comme on parlerait de récidives ou de rechutes lors d’un cancer, la période dites des “Événements” (1981-1989) et le 13 mai 2024, sont les témoins de ce passé colonial non digéré – dont les récents épisodes qui resurgissent dans le présent (ou du moins dans ce que les historiens appellent la période contemporaine) – , s’apparentent à ces rechutes empruntes d’un « passé qui ne passe pas ».

Si aucune Commission Vérité n’a encore été mise en place en Nouvelle-Calédonie, certains mécanismes de justice transitionnelle peuvent néanmoins être identifiés. Ainsi, à la suite des Accords de Matignon-Oudinot (1988), qui prévoyaient le transfert irréversible de compétences de Paris à Nouméa, une réforme de l’enseignement a été mise en place, avec notamment des programmes scolaires adaptés et la publication de manuels scolaire d’histoire et de géographie. Un réel espoir, toutefois, de nombreux silences persistent.

D’une part, les archives sont toujours fermées et d’autre part, un constat criant de la jeunesse calédonienne pose les jalons de cette présentation : “nous ne connaissons toujours pas cette histoire”. En se concentrant sur la mémoire de la période dite des « Evénements » (1891-1989), cette communication interroge la manière dont cette mémoire est transmise dans les établissements scolaires de Nouvelle-Calédonie et soulève les silences qui y sont liés. Après une analyse des programmes scolaires, des manuels, et de nombreux entretiens, cette communication tente de les comprendre et d’ouvrir la discussion. 

Intervention de Jeanne Dupont :

 

Les légitimités en Nouvelle-Calédonie : un équilibre à construire

 

À qui appartient un territoire marqué par la colonisation, les conflits mémoriels et la pluralité culturelle ? Et surtout, qui décide de ce que signifie “être légitime” dans un pays où coexistent des histoires si différentes, parfois inconciliables ? Ce travail est né d’une volonté personnelle de comprendre et de formuler les tensions profondes qui traversent la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui. Il s’agit d’une réflexion sur la façon dont les différentes légitimités – autochtone, républicaine, communautaire – se confrontent, se croisent, ou s’ignorent dans les institutions, dans l’imaginaire collectif, et dans les pratiques du pouvoir. L’objectif de cette contribution n’est pas de trancher, mais de poser des jalons : que faire quand chaque groupe se sent menacé dans son identité ? Quand l’histoire d’un peuple est vécue comme une négation par un autre ? Quand l’autodétermination d’un peuple premier semble entrer en contradiction avec l’égalité républicaine revendiquée par d’autres ? À travers l’examen des blocages politiques actuels (notamment autour du gel du corps électoral), des inégalités persistantes dans l’accès aux responsabilités, et des perceptions divergentes du “vivre-ensemble”, ce texte interroge les conditions nécessaires à un véritable projet commun. Il propose une lecture politique, mais aussi sensible, de ce que pourrait être un équilibre entre les légitimités. Dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu dans l’Indo-Pacifique, ces enjeux dépassent la seule Calédonie : ils interrogent le rôle de l’État, la reconnaissance des peuples autochtones, et la capacité des sociétés postcoloniales à inventer autre chose qu’un face-à-face permanent.