L’ethno-écologie aujourd’hui

Ethno-choses : épistémologie et anthropologie des savoirs pratiques

Présentation du séminaire
Vendredi 16 mai 2025 de 9h30 à 12h30 - Salle 15-410
 
Sophie Caillon (DR CNRS section 39, UMR 5175 CEFE – Montpellier)
Mark Collins (CREDO)

 

Séminaire de l’EHESS – Marseille, UE683, organisé en partenariat avec le séminaire du Centre de recherche et de documentation (CREDO)

 

Éric Vandendriessche (référent),
Sébastien Galliot,
Frédéric Joulian
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Sophie Caillon

(DR CNRS section 39, UMR 5175 CEFE – Montpellier)

« Trajectoire d’une ethnoécologue : de l’agrobiodiversité au bien-être »

L’ethnoécologie cherche à comprendre les relations entre les humains, les paysages, les êtres vivants mais aussi les formes inertes. Plus spécifiquement, cette discipline s’intéresse à la manière dont l’espace est vécu et investi par les humains (représentations, valeurs relationnelles), et dont les humains utilisent, gèrent, transforment leurs ressources naturelles (savoirs locaux, pratiques). Il faut pour cela développer des méthodes sans frontières entre disciplines et entre acteurs, intégrer des approches sensibles, mais tout en conservant une solide connaissance bioculturelle des acteurs (i.e. humains et plantes). En tant qu’ethnoécologues, nous acceptons qu’il n’y ait « ni nature, ni culture, ni sujet, ni objet qui préexistent à cet entrelacs » (p. 26), et nous revendiquons des formes de dialogue incitant à « penser-avec », « construire-avec », « fabriquer-avec », « réaliser-avec » (p. 115) les « êtres-en-rencontres ordinaires » (Haraway, 2020, p. 27). Devenir ethnoécologue demande de dépasser l’entre-soi et convoquer académiques indiscipliné·es, praticien·nes ancré·es, artivistes, sans oublier les êtres vivants et autres éléments paysagers.

Pour comprendre comment les diversités biologique et culturelle peuvent être conciliées pour conserver un patrimoine local et durable, Sophie Caillon choisit d’étudier l’agrobiodiversité en inscrivant ses travaux en ethnoécologie. Pourquoi paysan·nes et agriculteur·rices cherchent-ielles à cultiver, diversifier, voir à domestiquer de nouvelles espèces et paysages ? Elle s’intéresse ainsi aux plantes cultivées entretenues, créées et transformées en scrutant leurs noms et classifications locales, leurs usages et pratiques agricoles et culinaires, leurs valeurs qui ont motivé celles ou ceux qui en prennent soin, les manières dont elles sont acquises, et même leur diversité génétique. Pour résumer, Sophie Caillon s’intéresse aux savoirs locaux. Récolter des savoirs locaux demande d’écouter des histoires de vie d’humains, mais aussi de paysages et de leurs éléments constitutifs ; les valeurs de bien-être ont émergé de ces entretiens. Ainsi, recherches sur l’agrobiodiversité ou le bien-être partagent le même cadre théorique fondé sur un système entrelacé de valeurs éthiques et multidimensionnels, en particulier les valeurs relationnelles qui révèlent la part sensible de nos relations aux autres.

Mark Collins

(CREDO)

« Enjeux de nomenclature, classification, et d’épistémologie dans l’approche des savoirs locaux : le cas des relations interspécifiques marines à Lavongai (Papouasie-Nouvelle-Guinée) »

En anthropologie, lorsqu’on cherche à appréhender les aspects sociaux et culturels de la relation entre les humains et les êtres vivants non-humains, on est rapidement confronté à divers enjeux concernant la nomenclature et à la classification des êtres, ainsi qu’à des répercussions épistémo-logiques qui en découlent. En effet, le travail de l’anthropologie consiste au moins en partie à rendre intelligible dans un contexte culturel (celui de la France, ou du milieu universitaire globali-sé « occidental », par exemple) des pratiques et des savoirs qui provient d’un autre contexte cultu-rel. De fait, on est amené à chercher à établir des correspondances entre savoirs « locaux » et savoirs « scientifiques », et on est alors confronté à la fameuse difficulté du « traduttore, tradi-tore » (traducteur, traître) : on ne peut tout traduire sans déformation, tout comme il est souvent malaisé d’établir des correspondances entre, d’une part, des savoirs vernaculaires situés, et d’autre part le consensus scientifique courant dans un domaine, quel qu’il soit. Les classifications sont un problème classique, et difficile, dans ce cadre. Comment appréhender la labilité et la mul-tiplicité des formes de classification – même à l’échelle d’une société assez restreinte – sans y plaquer une grille de lecture issue de nos propres habitudes et pratiques ? Enfin, s’intéresser à la diversité des manières d’appréhender, de connaître, de nommer et de classifier le vivant amène à s’interroger sur nos propres rapports avec ces entités épistémologiques. Qu’est-ce qu’un savoir sur le vivant et quelles conséquences sociales et culturelles entraînent les statuts variables que l’on peut accorder à des savoirs de différents type ?

Je tenterai d’esquisser des éléments de réponse à ces questions en présentant brièvement un travail de recherche qui a trait aux relations interspécifiques marines mené depuis 2019 sur La-vongai, une île située dans l’archipel Bismarck en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont les habitants vivent principalement de l’horticulture et de la pêche vivrière.

Pistes indicatives de lecture :

  • BERLIN Brent, BREEDLOVE Dennis E., et RAVEN Peter H., 1973, « General principles of classification and nomenclature in folk biology », American Anthropologist, vol. 75, n° 1 : 214 242, https://doi.org/10.1525/aa.1973.75.1.02a00140.
  • BULMER Ralph N. H., 1967, « Why is the cassowary not a bird? A problem of zoological taxonomy among the Karam of the New Guinea Highlands », Man, vol. 2, n° 1 : 5 25, https://doi.org/10.2307/2798651.
  • DWYER Peter D., 2005, « Ethnoclassification, ethnoecology and the imagination », Journal de la Société des Océanistes, n° 120 121 : 11 25, https://doi.org/10.4000/jso.321.

Et aussi, éventuellement, pour la présentation du lieu d’enquête dont il sera question :

  • COLLINS Mark, 2021, « « Les gros poissons se cachent ». Frictions entre conceptions du vivant ma-rin sur l’île de Lavongai (Papouasie-Nouvelle-Guinée) », Journal de la Société des Océa-nistes, vol. 153 : 337 352, https://doi.org/10.4000/jso.13344.