Les animaux, les plantes et les humains entretiennent des relations ethnographiées et analysées de longue date par l’anthropologie. En témoignent les nombreuses monographies du XIXème et XXème siècles portant sur des communautés pastorales, agricoles/horticoles, ou de chasseurs-cueilleurs, dont les systèmes sociaux, les manières de percevoir et de penser (totémisme et animisme) et les modes de subsistance (domestication, chasse, cueillette), enchâssent étroitement humains et non humains.
Plus récemment, une branche de l’anthropologie – l’ethnoscience – née en France avec la création en 1963 du Laboratoire d’ethnobotanique (devenu en 1966 le Laboratoire d’ethnobotanique et d’ethnozoologie) rattaché au Muséum national d’histoire naturelle, s’est plus particulièrement intéressée à la taxinomie et à l’incidence des comportements animaux et végétaux sur la constitution des savoirs locaux. La figure tutélaire de cette branche de l’anthropologie (mais aussi de l’ethnolinguistique et de l’anthropologie des techniques), que Jacques Barrau avait nommée le « passe-muraille » disciplinaire, a été André-Georges Haudricourt. Dans son livre mémorial (A.-G. Haudricourt et P. Dibie, Les pieds sur terre, 1987 : 169), il écrit : « Si l’ethnozoologie a un sens, il faudrait qu’elle se dégage de la zootechnie où elle est née pour s’intéresser vraiment aux relations réciproques de l’homme et de l’animal. La question est de savoir qui de ces deux mammifères a déteint sur l’autre ? ». Et plus loin : « Une question reste pour moi sans réponse : si c’était les autres êtres vivants qui avaient éduqué les hommes, si les chevaux leur avaient appris à courir, les grenouilles à nager, les plantes à patienter ? ».
Ses travaux, menés principalement sur le terrain de la Nouvelle-Calédonie, préconisent de se référer aux animaux et aux plantes qui environnent l’homme pour traduire les manières singulières d’être au monde de ce dernier. Toujours en Mélanésie, il convient de citer, sans pour autant être exhaustif, d’autres grands noms : Jacques Barrau, Ralph Bulmer, Florence Brunois, Peter Dwyer et Monica Minnegal, Steven Feld et Roy Rappaport qui ont étudié des savoirs naturalistes et des liens d’interdépendance entre humains et non humains dans un cosmos forestier (Papouasie- Nouvelle-Guinée) ou insulaire (Océanie).
Cette thématique a gagné en puissance avec, notamment, les travaux anthropologiques de Philippe Descola en Amazonie. Dans un entretien réalisé en 2016 au Collège de France, il confiait : « … l’anthropologie est née d’une bizarrerie rapportée par les observateurs : dans de nombreuses parties du monde sous domination coloniale les gens ne semblaient pas établir de différences très tranchées entre les humains et les animaux, les plantes et les esprits ou d’autres formes de vie présumées présentes dans l’environnement. On peut dire que l’anthropologie est née de la nécessité d’éclaircir ce mystère… » (« Les animaux et l’histoire, par-delà nature et culture », Revue d’histoire du XIXe siècle 54, 2017). Dans sa leçon inaugurale au Collège de France pour la création de la Chaire d’Anthropologie de la nature, il part du10constat que « la nature n’existe pas comme une sphère de réalités autonomes » (Anthropologie de la nature, Leçon inaugurale au Collège de France, 29 mars 2001), rappelant que la distinction formelle entre nature et culture, loin d’être universelle, est une caractéristique tardive de la pensée occidentale. Et qu’il est temps que « l’anthropologie conteste un tel héritage en repensant son domaine d’activité et ses outils de manière à inclure dans son objet bien plus que l’anthropos, toute cette collectivité des existants liée à lui et longtemps reléguée dans une fonction d’entourage » (p. 7). En miroir de cette acception de l’homme pris comme un vivant dans son environnement, est également posée la question de l’agentivité des êtres et des choses avec lesquels les hommes interagissent. C’est à la faveur de ce tournant ontologique sous l’influence de paradigmes apparentés, développés surtout dans le champ de la sociologie des sciences sous l’influence de Bruno Latour (« Comment redistribuer le grand partage ? », Revue de synthèse, IIIe S, 110 : 203-2, 1983), que l’étude des relations entre hommes et animaux (dans une moindre mesure les végétaux) connaît depuis deux décennies un regain d’intérêt, en devenant un champ d’expérimentation privilégié de l’érosion des grands partages, entre le social et le biologique, entre l’humanité et l’animalité.
Aujourd’hui, les travaux sur les relations hommes-animaux semblent traversés par trois tendances
L’objectif de cet axe est ici de renouer avec une certaine « tradition » mélanésienne inaugurée par Haudricourt tout en poursuivant le « tournant symétrique » des rapports humains – non-humains au prisme des particularités des sociétés du Pacifique, dont les points communs, au-delà de leur diversité, résident dans leur lien avec les milieux aquatiques, en particulier la mer, les synergies et les échanges qu’elles conçoivent et établissent entre milieu terrestre et milieu marin, et le rapport particulier qu’elles entretiennent avec certains opérateurs de transformation, en premier lieu la métamorphose. Les processus par lesquels un humain adopte la perspective d’un autre et « devient » cet autre sont multimodaux. Ils relèvent par exemple de transformations physiques (tatouage, scarification, danse), métaboliques (ingestion de sang, de mucus), techniques (artefact comme substitut et extension du corps) et/ou sociales (échange de noms) et soulignent la porosité des frontières entre différentes catégories d’êtres.
Pascale Bonnemère
Anne Di Piazza
Sébastien Galliot
James Leach
Pierre Lemonnier
Simonne Pauwels
Sandra Revolon
Sophie Caillon (CNRS)
Maëlle Calandra (IRD)
Mark Collins
Simon Gérard